Les rêveuses de ses premières expos sont toujours là. Paupières baissées, elles veillent. Elles ont grandi, elles ont mûri, elles ont enfanté d’autres créatures.
Ses fournisseurs non plus n’ont pas changé : brocantes, vide-greniers, bords de mer, sentiers forestiers ; objets usés, rejetés, insignifiants. Mais qui savent, comme des aimants, attirer son attention, comme s’ils l’attendaient. Elle ramasse : fragments de bois, champignons, coquillages, squelettes de petits animaux, le crâne d’un chevreuil, les os d’oiseaux pris au piège dans un vase où ils avaient fait leur nid, deux têtes de moineaux trouvées dans un insert par un ramoneur. Des vies minuscules, des vies de rien du tout, qu’on pourrait dire inutiles, au destin souvent tragique, qu’elle va sublimer dans des mises en scène qui naissent patiemment et amoureusement.
Elle dit : « J’essaie de faire moins fragile mais je n’y arrive pas ; et je voudrais que l’on voit au-delà de l’assemblage, de cette fragilité des matières ».
Elle part toujours « de ce qui est déjà beau dans la nature » ; « les formes parlent, les matières aussi ». Les objets qu’elle choisit ont tous une histoire. Qu’elle ne connaît pas toujours. Transformés ou laissés à l’état naturel, associés et fondus dans des unions improbables mais pourtant cohérentes et évidentes, elle les rend à la vie. Une autre vie. C’est le miracle de la création. Là où on ne sait plus qui est quoi, végétal, animal, minéral ? Cela n’a plus d’importance, le mélange de toutes ces matières devient unité, l’union fait l’œuvre et sa curiosité.
Des os ramassés sur la plage deviennent des masques colorés et coquins comme des guêpières. D’autres tapissent sur fond doré un reliquaire précieux. Des momies enveloppées d’un fil de coton immaculé disent l’infinie patience. Cabinet de curiosité, des nœuds d’arbres abritent des hôtes inattendus. Alors que des perles enfilées figurant les pattes d’un oiseau ou la tête d’un chevreuil côtoient les âmes légères posées sur fond blanc, et les âmes sombres, sur fond noir. Pendant que ces dames, la blanche, enveloppée d’un manteau de dentelle, la rousse, maternité-totem, protègent leurs amis de leur hauteur bienveillante. Sous l’œil des ces portraits désuets « réveillés », par quelque plume de flamand rose ou autre accessoire inattendu. Mais pertinent.
Si ses créations sont fragiles de par le matériau utilisé, sa démarche artistique révèle une continuité sereine et apaisée. Françoise Cuxac suit son chemin, imperturbable aux modes. Sans doute les nombreuses expositions auxquelles elle participe en sillonnant la France lui ont-elles permis de franchir ce cap. Sa main, son instinct, son goût restituent un travail abouti, fort, sans occulter l’énorme charge poétique qui s’en dégage.
La preuve que ses rêveuses ne dormaient pas…
Texte de Monique Lafarge